"Il faut couper les ailes de l'Assurance maladie"
Le think-tank créé par l'ex ministre UMP du travail, Gérard Larcher, remet à plat la gouvernance de l'assurance maladie, replace la CNAM dans son strict rôle de gestionnaire. Et lui dénie la légitimité qu'elle s'est construite à concevoir et réguler le système de santé.
"Nous n'avons plus les moyens de nous offrir une fiction inutile et coûteuse. Il n'y a plus eu d'élections sociales à l'Assurance maladie depuis 1983, la démocratie sociale est un leurre. Quant à la notion de salaire différé chère aux centrales syndicales et surtout à Force ouvrière, elle n'est plus de mise depuis l'instauration de la CSG, en 1993, qui est un impôt. Même chose pour la Couverture maladie universelle (CMU), née en 2000, où les droits sont accordés en fonction de la résidence et non plus du travail". Jean de Kervasdoué, l'économiste de la santé bien connu, aime les formules qui frappent.
La baleine Sécu est aujourd'hui malade
Par cette dernière, l'ancien directeur des hôpitaux dévoile la trame de travail dont il est le rapporteur pour
le Cercle Santé Innovation*, le think-tank animé par Gérard Larcher, ancien ministre du travail, sénateur UMP et auteur d'un rapport sur l'hôpital, en 2008. Le titre du rapport : "L'assurance maladie est-elle encore utile ?" A cette question iconoclaste, réponse iconoclaste cela va sans dire. Car tous les économistes qui ont planché sur le sujet répondent oui, évidemment l'assurance maladie est utile, mais tous reconnaissent également que la baleine Sécu expulsant hier de furieux jets d'eau est aujourd'hui cacochyme et malade.
Notre système de santé "n'a plus rien à voir avec le modèle imaginé au moment du conseil national de la résistance", avance Jean de Kervasdoué. Et de lister : un très haut niveau de dépenses de santé, le deuxième ou le troisième au monde, un niveau de dettes considérables, surtout si on se compare à l'Allemagne. Un système qui choisit toujours le plus cher : "l'hôpital plutôt que la ville, les spécialistes plutôt que les généralistes, les médecins plutôt que les infirmières", 700 établissements hospitaliers...[pagebreak]
de plus qu'en Allemagne, mais un faible nombre d'infirmiers et une forte limitation de leurs compétences, un niveau de prescription pharmaceutique qui nous hisse à un niveau de dépense par personne supérieur de de 300 euros à la Hollande ou au Danemark et une fiscalité aléatoire, qui pénalise l'industrie pharmaceutique. Et pour finir, des coûts de gestion de l'assurance maladie de 5,6 %, alors que le taux est de 2 % au Canada ou en Angleterre.
Et face à ce constat, une évidence : "on n'arrive pas à réduire la dette". De plans de rigueur en déremboursements, d'augmentation de la CSG en transferts de la dette vers la Cades, la caisse ad hoc, rien de fonctionne. Le taux d'évolution naturel des dépenses de santé reste fixé à 4 % (dont 1 % du fait de la démographie). Pourquoi toutes ces particularités ?
Fusion des différents régimes et de la gestion des fonds
"A cause de la dichotomie de gestion de fait entre l'assurance maladie et l'Etat" explique Jean de Kervasdoué. La CNAM s'est attribué la gestion et la politique de la médecine de ville et l'Etat se réserve l'hôpital. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a réuni en 2009, les services de l'Etat en intronisant la région comme "unité de gestion", mais l'assurance maladie n'a pas voulu faire partie du transfert. "L'Etat est à la fois le régulateur et le gestionnaire, et cela le paralyse à l'hôpital. Ce qui a pour résultat qu'il est très difficile de transférer une partie de l'activité hospitalière de la médecine de ville", explique l'économiste.
Devant la montagne de difficultés, les membres du Cercle Santé innovation ont retroussé leurs manches. Et leurs propositions décoiffent. Ils préconisent de garder le financement collectif en accroissant l'apport de la CSG ou de la TVA,...[pagebreak]
au détriment des cotisations assises sur le travail. Puis, hormis pour la MSA qui est aussi un mouvement très investi dans la prévention, de fusionner les différents régimes et la gestion des fonds de l'assurance maladie pour pouvoir organiser les soins, l'hôpital, la ville en paiement direct. L'hôpital, soit dit en passant, serait doté d'une très grande indépendance, pour faire sortir l'Etat de sa gestion, puisqu'il a montré qu'il était "très mauvais gestionnaire". Quant à l'assurance maladie, elle serait confinée à son rôle de gestionnaire, et non plus de concepteur et régulateur du système, rôle qu'elle s'est attribué au fil des années,"devant la démission de l'Etat".
Remplacée par une agence sous tutelle de l'Etat
A l'Etat donc, de donner la voie pour devenir le pilote unique du système de santé. Ainsi, l'institution Assurance maladie serait-elle remplacée par une agence sous tutelle de l'Etat, laquelle aurait pour rôle de piloter le système, répartir les fonds, décider de la politique de tarification, rembourser, gérer le risque, soutenir les programmes de santé publique, animer la politique de prévention.
Le directeur de cette agence serait nommé en conseil des ministres, elle serait chapeautée par un conseil de surveillance composé de représentants des employeurs et des salariés, des financeurs, des représentants des patients et des organismes complémentaires. L'Etat serait représenté par un commissaire du gouvernement à voix prépondérante. Il assurerait son contrôle, en cohérence avec les priorités du gouvernement et du Parlement.
Le rapport se garde bien de répondre à toutes les questions : quel rôle pour l'ACOSS, l'agence qui finance le système ? Faut-il transférer ses compétences au Budget ? Que faire exactement avec les organismes de protection...[pagebreak]
complémentaire, qui prennent actuellement en charge 13 % de la dépense totale ? Faut-il leur confier la gestion d'un ou deux risques spécifiques ? Ou encore faut-il territorialiser la rémunération des professionnels de santé ? Et qu'adviendra-t-il alors des conventions conclues avec l'assurance maladie ?
"Nous avons 13 ans de retard"
"Nous aurions dû nous mener cette réflexion sur l'assurance maladie en 2000, lorsque la CMU a été créée, reconnaît Gérard Larcher. Nous avons 13 ans de retard, car la CMU a mise en place une affiliation en fonction de la résidence et non plus du travail. A cet égard, il va falloir absolument bouger le curseur dans les années à venir". Et le sénateur de rappeler quelques chiffres : en 1993 l'Assurance maladie était financée à 93 % par les revenus du travail, 7 % par la fiscalité. En 2013, la fiscalité représente 40 % des ressources (dont 35 % de CSG) contre 60 % pour le travail. "La notion de salaire différé ne se conçoit plus que pour les accidents du travail ou la retraite, plus pour la famille ou la santé", a-t-il affirmé.
L'ancien ministre du travail a rappelé que ce rapport s'adressait aux politiques, "ce sont des sujets de lois d'orientation", des politiques toujours très frileux à aborder ces thèmes sensibles, a-t-il regretté en connaissance de cause. Cet évitement chronique fera d'ailleurs l'objet d'un prochain groupe de travail du Cercle.
*Membres du groupe de travail : Cédric Arcos, Florian Godet, Judith Hammel, Emilie Hericher, Aude Kempf, Erwann Paul, Alice Prigent, Nicolas Salvi, Guillemette Spido. Ils sont jeunes médecins, directeurs d'établissements de santé publics et privés ou étudiants des grandes écoles.
"Nous n'avons plus les moyens de nous offrir une fiction inutile et coûteuse. Il n'y a plus eu d'élections sociales à l'Assurance maladie depuis 1983, la démocratie sociale est un leurre. Quant à la notion de salaire différé chère aux centrales syndicales et surtout à Force ouvrière, elle n'est plus de mise depuis l'instauration de la CSG, en 1993, qui est un impôt. Même chose pour la Couverture maladie universelle (CMU), née en 2000, où les droits sont accordés en fonction de la résidence et non plus du travail". Jean de Kervasdoué, l'économiste de la santé bien connu, aime les formules qui frappent.
La baleine Sécu est aujourd'hui malade
Par cette dernière, l'ancien directeur des hôpitaux dévoile la trame de travail dont il est le rapporteur pour
le Cercle Santé Innovation*, le think-tank animé par Gérard Larcher, ancien ministre du travail, sénateur UMP et auteur d'un rapport sur l'hôpital, en 2008. Le titre du rapport : "L'assurance maladie est-elle encore utile ?" A cette question iconoclaste, réponse iconoclaste cela va sans dire. Car tous les économistes qui ont planché sur le sujet répondent oui, évidemment l'assurance maladie est utile, mais tous reconnaissent également que la baleine Sécu expulsant hier de furieux jets d'eau est aujourd'hui cacochyme et malade.
Notre système de santé "n'a plus rien à voir avec le modèle imaginé au moment du conseil national de la résistance", avance Jean de Kervasdoué. Et de lister : un très haut niveau de dépenses de santé, le deuxième ou le troisième au monde, un niveau de dettes considérables, surtout si on se compare à l'Allemagne. Un système qui choisit toujours le plus cher : "l'hôpital plutôt que la ville, les spécialistes plutôt que les généralistes, les médecins plutôt que les infirmières", 700 établissements hospitaliers...[pagebreak]
de plus qu'en Allemagne, mais un faible nombre d'infirmiers et une forte limitation de leurs compétences, un niveau de prescription pharmaceutique qui nous hisse à un niveau de dépense par personne supérieur de de 300 euros à la Hollande ou au Danemark et une fiscalité aléatoire, qui pénalise l'industrie pharmaceutique. Et pour finir, des coûts de gestion de l'assurance maladie de 5,6 %, alors que le taux est de 2 % au Canada ou en Angleterre.
Et face à ce constat, une évidence : "on n'arrive pas à réduire la dette". De plans de rigueur en déremboursements, d'augmentation de la CSG en transferts de la dette vers la Cades, la caisse ad hoc, rien de fonctionne. Le taux d'évolution naturel des dépenses de santé reste fixé à 4 % (dont 1 % du fait de la démographie). Pourquoi toutes ces particularités ?
Fusion des différents régimes et de la gestion des fonds
"A cause de la dichotomie de gestion de fait entre l'assurance maladie et l'Etat" explique Jean de Kervasdoué. La CNAM s'est attribué la gestion et la politique de la médecine de ville et l'Etat se réserve l'hôpital. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) a réuni en 2009, les services de l'Etat en intronisant la région comme "unité de gestion", mais l'assurance maladie n'a pas voulu faire partie du transfert. "L'Etat est à la fois le régulateur et le gestionnaire, et cela le paralyse à l'hôpital. Ce qui a pour résultat qu'il est très difficile de transférer une partie de l'activité hospitalière de la médecine de ville", explique l'économiste.
Devant la montagne de difficultés, les membres du Cercle Santé innovation ont retroussé leurs manches. Et leurs propositions décoiffent. Ils préconisent de garder le financement collectif en accroissant l'apport de la CSG ou de la TVA,...[pagebreak]
au détriment des cotisations assises sur le travail. Puis, hormis pour la MSA qui est aussi un mouvement très investi dans la prévention, de fusionner les différents régimes et la gestion des fonds de l'assurance maladie pour pouvoir organiser les soins, l'hôpital, la ville en paiement direct. L'hôpital, soit dit en passant, serait doté d'une très grande indépendance, pour faire sortir l'Etat de sa gestion, puisqu'il a montré qu'il était "très mauvais gestionnaire". Quant à l'assurance maladie, elle serait confinée à son rôle de gestionnaire, et non plus de concepteur et régulateur du système, rôle qu'elle s'est attribué au fil des années,"devant la démission de l'Etat".
Remplacée par une agence sous tutelle de l'Etat
A l'Etat donc, de donner la voie pour devenir le pilote unique du système de santé. Ainsi, l'institution Assurance maladie serait-elle remplacée par une agence sous tutelle de l'Etat, laquelle aurait pour rôle de piloter le système, répartir les fonds, décider de la politique de tarification, rembourser, gérer le risque, soutenir les programmes de santé publique, animer la politique de prévention.
Le directeur de cette agence serait nommé en conseil des ministres, elle serait chapeautée par un conseil de surveillance composé de représentants des employeurs et des salariés, des financeurs, des représentants des patients et des organismes complémentaires. L'Etat serait représenté par un commissaire du gouvernement à voix prépondérante. Il assurerait son contrôle, en cohérence avec les priorités du gouvernement et du Parlement.
Le rapport se garde bien de répondre à toutes les questions : quel rôle pour l'ACOSS, l'agence qui finance le système ? Faut-il transférer ses compétences au Budget ? Que faire exactement avec les organismes de protection...[pagebreak]
complémentaire, qui prennent actuellement en charge 13 % de la dépense totale ? Faut-il leur confier la gestion d'un ou deux risques spécifiques ? Ou encore faut-il territorialiser la rémunération des professionnels de santé ? Et qu'adviendra-t-il alors des conventions conclues avec l'assurance maladie ?
"Nous avons 13 ans de retard"
"Nous aurions dû nous mener cette réflexion sur l'assurance maladie en 2000, lorsque la CMU a été créée, reconnaît Gérard Larcher. Nous avons 13 ans de retard, car la CMU a mise en place une affiliation en fonction de la résidence et non plus du travail. A cet égard, il va falloir absolument bouger le curseur dans les années à venir". Et le sénateur de rappeler quelques chiffres : en 1993 l'Assurance maladie était financée à 93 % par les revenus du travail, 7 % par la fiscalité. En 2013, la fiscalité représente 40 % des ressources (dont 35 % de CSG) contre 60 % pour le travail. "La notion de salaire différé ne se conçoit plus que pour les accidents du travail ou la retraite, plus pour la famille ou la santé", a-t-il affirmé.
L'ancien ministre du travail a rappelé que ce rapport s'adressait aux politiques, "ce sont des sujets de lois d'orientation", des politiques toujours très frileux à aborder ces thèmes sensibles, a-t-il regretté en connaissance de cause. Cet évitement chronique fera d'ailleurs l'objet d'un prochain groupe de travail du Cercle.
*Membres du groupe de travail : Cédric Arcos, Florian Godet, Judith Hammel, Emilie Hericher, Aude Kempf, Erwann Paul, Alice Prigent, Nicolas Salvi, Guillemette Spido. Ils sont jeunes médecins, directeurs d'établissements de santé publics et privés ou étudiants des grandes écoles.
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